Cet automne, nous vous proposons un dossier sur la mixité de genre au sein de nos structures d’animation. D’où vient-elle et depuis quand ? Est-elle, par essence, un vecteur d’égalité ? Qu’est-ce que c’est au juste « le genre » ? Comment lutter contre les stéréotypes de genre ?
Tant de de questions qui nécessitent bien une série pour les aborder, et des exemples concrets pour illustrer vos initiatives en matière de mixité de genre.
Aujourd’hui, premier épisode : un retour historique sur l’instauration de la mixité dans les lieux de socialisation de la jeunesse.
Lorsqu’il s’agit d’interroger l’histoire de la mixité, on ne peut que s’attarder sur l’un des lieux majeurs de socialisation des enfants et des jeunes : l’école.
Aujourd’hui, la mixité de genre au sein des écoles est la norme, mais ce ne fut pas toujours le cas.
Pour bien comprendre comment notre pays gère cette question (et tant d’autres), il faut comprendre l’un de ses principes de base : la pilarisation de la société. Dès la genèse de la Belgique, les piliers idéologiques organisent toute la société, en ce compris, bien sûr, l’école et les structures chargées d’encadrer les jeunes.
C’est lors de son indépendance que la Belgique, très catholique, a revendiqué dans sa constitution la «liberté d’enseignement ». Cette loi autorisait la libre création d’écoles mais aussi le libre choix, pour les parents, de l’école où ils scolariseront leurs enfants. Elle préfigurait l’organisation des écoles en réseaux scolaires: il y aurait les écoles organisées par les communes (et, plus tard aussi, organisées par l’État ; aujourd’hui les communautés) et les écoles librement organisées, le plus souvent confessionnelles et catholiques.
Ces deux grands réseaux sont le reflet de l’organisation en piliers idéologiques de la Belgique. Cette pilarisation se fonde sur l’opposition idéologique entre cléricaux et laïcs, et s’étoffera par la suite, avec la montée du mouvement ouvrier lors de la révolution industrielle.
Dans les premières années de la Belgique, les communes étaient tenues d’organiser l’enseignement des garçons. L’enseignement des filles, quant à lui, était souhaité mais aucune loi n’obligeait les communes à le mettre en place. Il leur appartenait donc de décider si elles organisaient l’enseignement soit uniquement des garçons, soit « en coéducation », pour reprendre le vocabulaire de l’époque. Si les communes avaient le droit d’opter pour la mixité des élèves, la pression morale, notamment de l’Église à garder un enseignement séparé, avait pour conséquence que celle-ci gardait la main-mise sur l’éducation des filles. Au final, dans un premier temps, rares furent les écoles mixtes.
Il fallut attendre le lendemain de la seconde guerre mondiale, et le boum démographique qui l’accompagna, pour voir apparaître des écoles primaires mixtes en nombre. Il ne s’agit alors pas tant d’un changement idéologique mais d’une vision très pragmatique liée aux finances : il était impensable de créer des établissements séparés en suffisance pour accueillir tous les enfants. Les bâtiments furent donc partagés, mais les règlements intérieurs des écoles continuèrent de séparer garçons et filles, notamment lors des récréations ou au sein d’une même classe.
Dans l’ouvrage «Histoire des maisons de jeunes en Belgique francophone » d’Anne Broché, on apprend qu’à la même époque, les structures qui organisaient le temps libres des jeunes furent rarement mixtes. Les mouvements de jeunesse, très populaires et essentiellement non-mixtes avant la guerre, attiraient moins les jeunes. Elles-mêmes pilarisées, l’image de ces organisations était associée aux jeunesses politiques, et donc à la guerre.
À cette époque, nombreux furent aussi les jeunes livrés à eux-mêmes, leur famille ayant parfois été décimée. Certains quartiers virent émerger des initiatives qui visaient à encadrer les jeunes. C’est le début des centres de jeunes. Dorénavant, ceux-ci furent mixtes et attirèrent de plus en plus la jeunesse qui, année après année, émergea comme groupe social distinct avec ses propres codes dont celui de la mixité.
Dans les écoles, il fallut attendre les années 70’ pour voir s’opérer le regroupement progressif des garçons et des filles dans les mêmes établissements de l’enseignement secondaire officiel. Cette politique répondait d’ailleurs à une directive européenne de 1976 qui imposait la mixité dans les pays de la Communauté européenne dès 1978.
Aujourd’hui, la chercheuse Édith Maruéjouls, qui a croisé sociologie et géographie pour travailler notamment sur les cours de récréation en école primaire, observe que le mélange des enfants au sein des écoles est tout relatif. Elle prend l’exemple des cours de récréation. Le plus souvent, celles-ci se dessinent autour d’un terrain de foot, tracé au sol. La chercheuse note que les lignes ne délimitent pas tant l’espace dans lequel le jeu peut se dérouler que les frontières que les non joueurs ne peuvent franchir. Selon Édith Maruéjouls, cet espace occuperait jusqu’à environ 80 % de la cour. Parmi les joueurs, les filles font figures d’exception, stéréotype genré oblige, comme l’explique cette petite fille dans le court métrage d’Eléanor Gilbert. Mais, même chez les garçons, seuls les cooptés pourront profiter de l’espace. Ce sont souvent les plus âgés et les plus performants. Tous les autres se partageraient le reste de l’espace, soit 20 % de la superficie. La règle du genre est ici tracée blanc sur noir sur le macadam.
On le voit, la mixité, qu’elle soit pratiquée en école ou dans le secteur de la jeunesse, est donc une construction historique et culturelle qui ne suffit pas à garantir une égale répartition des droits des enfants et des jeunes. Loin de la diaboliser ou de l’encenser, nous vous proposons une série d’articles, émaillée de témoignages de projets issu du terrain, qui questionneront nos pratiques en matière de mixité de genre. Serez-vous au rendez-vous ?
(Re)Sources :
- « Histoire de la mixité filles/garçons à l’école – de 1911 à aujourd’hui », La ligue
- « Histoire de l’accès à l’enseignement en Belgique, Attac Liège »
- Histoire des maisons de jeunes en Belgique francophone, Anne Broché, service de la jeunesse de la FWB, 2016, pp. 260
- « Comprendre les inégalités dans la cour d’école par Edith Maruéjouls » BROUZE Emilie