Crayonné ancré : tous dans le même bateau

Crayonné ancré : tous dans le même bateau

Neuf ans à se raccrocher au même acronyme. Pour le public du C-Paje, les lettres « JPP » ne signifie probablement rien. L’esprit retient plus volontiers « Mineurs ! », « Cartons Jeunes » ou « Jeunes Pensées Pixels ». Mais pour les travailleurs de l’association, à mesure que les années s’égrenaient, chacune sertie de leur thématique, le projet en écoles était, pendant près d’une décennie, désigné par une même abréviation, de « JPP 1 » à « JPP 9 ». « Diversity Power » : révolution copernicienne ou continuité rassurante ? Ressenti des animateurs·ices du C-Paje.

Rentrée 2022, un cycle inédit s’entame, à l’aube du plan quadriennal suivant. Voilà que déboule Diversity Power et son univers méditerranéen, abordé comme une aire de métissage. Une table rase, par rapport à la décennie « Jeunes Porteurs de Parole » ? « Ce nom-là continue de résonner en moi », assure Laurie. « La parole des jeunes reste au centre, et notre travail a toujours veillé à ce qu’elle soit la moins brimée possible, à l’abri des jugements. C’était déjà le cas, et on poursuit cette mission ». Élan similaire pour Valou : « Je vis ce nouveau projet comme une continuité. Même s’il n’a pas la même appellation, on continue d’aborder les valeurs chères au C-Paje, à l’instar de l’interculturalité ». Une nuance demeure : « cette année, on prend le sujet sensible de la migration à bras-le-corps, là où le lien était opérée de manière plus secondaire lorsqu’on parlait de football. Dans certaines écoles où nous intervenons, la quasi-totalité de la classe est issue de la diversité. Il faut oser narrer l’atrocité des épreuves que requiert la fuite d’un pays, sans pour autant rouvrir des souvenirs cicatrisés ».

Pour préserver cet équilibre, chaque binôme d’animateurs s’attend à devoir s’adapter à son public, en dépit des préparations minutieuses que l’équipe concocte l’été précédant le lancement des séances. Pour Fabrice, ce lâcher-prise délaissant notre schéma préalable « n’avait jamais été aussi prononcé auparavant : les duos se sont appropriés des pans entiers d’animation ! » Julien le concède : « On maintient le fil rouge de la migration mais, comme lors des années précédentes, on se recentre sur un aspect qui fait sens pour le groupe. Il me semble délicat de sensibiliser des enfants de primaire à autre chose qu’eux-mêmes. Je ne considère pas qu’ils sont égoïstes, mais il fallait créer des liens avec le vécu de leur propre famille pour rendre le propos tangible et concret, le circonscrire autour d’eux ». D’une année à l’autre, le réflexe revient tel un mantra : jongler entre toile de fond thématique, envies du groupe et possibilités des animateurs. La routine ? Pas pour tout le monde.

Un bol d’air frais

« La dynamique m’a semblée différente du cadre établi par “JPP” », tranche Shirley. « En amont, toute l’équipe a vécu un résidentiel, durant lequel nos méthodes de travail sont passées sur le grill. On accueille aussi deux nouveaux collègues qui insufflent leur identité au projet : Laura et Benoît ». Ce dernier, familier du fanzine – le support créatif retenu pour cette saison – n’a eu aucun mal à imposer sa griffe : « Je me suis mis la pression tout seul, avec l’envie de façonner une réalisation qui valorise les jeunes à fond, laissant libre cours à mon perfectionnisme », avoue ce fan de BD. « À Ans, les élèves ont raffolé de la technique “Auto-portrait manga” que je leur proposais pour représenter leurs personnages de super héros, au point qu’il a fallu freiner leurs ardeurs ». Avec l’aide de ses collègues Valou et Shirley, les fanzines supervisés par Benoît revêtent des formes originales : un dossier d’agent secret et un bateau pliable, dont l’envers dévoile… un gilet de sauvetage. Moins à l’aise avec le dessin, Laura, l’autre nouvelle recrue, n’a « eu aucun mal à se forger une place », selon son comparse Jonathan. L’intéressée renchérit : « Je me suis sentie dans la même optique que les autres animateurs C-Paje : valoriser les créations des jeunes dans leur ensemble. Qu’importe si elles nous semblent kitsch ou s’ils n’ont pas parfaitement saisi les consignes ». En chœur, les travailleurs avancent que l’intervention en binôme pave un confort ouaté, rassurant : « En foulant seul le terrain, aucun recul ni retour, pas de co-construction », assène Laura.

Phare sans fard

L’équipe s’est solidifiée sur la durée avec deux membres supplémentaires, mais elle compte aussi sur les renforts ponctuels de nombreux auxiliaires périphériques. Les nombreux stagiaires passés par l’association (Amandine, Émeline, Théo, Pauline… ou encore Antoine, qui illustre ce texte) amènent chacun·e leur lot d’interactions et d’idées neuves, « même s’il convient de les cadrer, notamment en leur rappelant de tester leur animation avant de la pratiquer sur le terrain », tempère Laura. Fabrice souligne pour sa part l’apport de Céline Robin, camarade de jeu (scénique) avec laquelle il performe du « théâtre forum » dans chaque école. Les acteurs interprètent une saynète provocante, pensée pour susciter le débat. Ensuite, les élèves-spectateurs peuvent s’immiscer dans le récit en incarnant un des protagonistes, catapultant ainsi des fins alternatives liées à des réactions différentes. Évidemment, le scénario de cette cuvée questionnait notre propension à accueillir des migrants à domicile. « Faire intervenir une artiste extérieure constitue une richesse, mais aussi une rupture », précise Fabrice. Quand j’entends les répliques de Céline aux jeunes, en totale impro, je me rends compte qu’elle ne travaille pas au C-Paje, que sa vision nuance nos convictions ». Il en va de même concernant sa collaboration avec son binôme, Shirley : « À deux, on est déjà dans l’intelligence collective, on trouve des solutions aux embûches, on rebondit. Je suis détaché pédagogique et me retrouverai bientôt à nouveau seul dans ma classe. Cet horizon me terrifie ».

 

NB : l'illustration de l'article a été réalisée par l'artiste Antoine Schiffers, étudiant à l'Institut Saint-Luc de Bruxelles en 2e année de Master Bande dessinée, qui effectue actuellement un stage au sein du C-paje. Nous vous invitons à découvrir son univers via ce lien.

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Animation

Actualité rédigée par
Boris Krywicki

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