Nous sommes au XXIème siècle et bien des choses ont changé. Le téléphone portable et la communication par voie électronique ont envahi (presque) tous les foyers, toutes les poches, tous les sacs à main. Se référer au courrier papier et à l'envoi postal procure déjà à certains un petit arrière-goût vintage suranné, à peu près du même tonneau que ce que m'évoquait à moi la communication par pigeon, la diligence, le phonographe de ma grand-mère, le train à vapeur ou le voyage en Zeppelin. Sans doute un jour, si je ne suis pas déjà atteint par la limite d'âge (mais au rythme où ça va, je travaillerai jusqu'à 80 ans tandis que les "jeunes" diplômés tenteront de terminer leur stage d'insertion avant leurs 35 ans), un jour donc, déclencherais-je la même perplexité auprès de jeunes adolescents en leur parlant de facteur que en leur parlant de cabine téléphonique. Facteur, ah le charme des petits métiers disparus! Rétameur, rémouleur, allumeur de réverbères, crieur public, facteur...
Oui, je sais... J'extrapole, je sur-anticipe, voire j'exagère. Ce ne sera pas la première fois. Sera-ce à tort cependant?
Mais, me questionnerez-vous, si vous ne vous-êtes pas déjà assoupis au creux du premier chapitre : "Qu'est ce qui déclenche cette ire soudaine?" Déjà, je vous rétorquerai : "Pas si soudaine que cela... Parce que j'ai de longue date un vieil oignon à peler avec la manière dont ont été progressivement mis à mal les services publics, et ce avec la complicité passive ou active des institutions qui sont censées les défendre et les incarner." "Mais, alors rien de neuf" soulignerez-vous, toujours vif et aux aguets. "Oui et non, lâcherais-je, un peu las, car ils en ont récemment rajoutés une couche". "Qui ça, ils?" tenterez-vous encore, d'un air vague et distrait. "La poste" soufflerais-je enfin, de mon plus beau ton dépité.
Résumé de l'épisode précédent : dans le butin hebdomadaire récolté parmi les factures, les publications culturelles et d'ONG, les courriers de la bibliothèque, le magazine auquel je suis abonné, l'avis de passage du préposé au relevé annuel de gaz, les publicités Lidl et Intermarché et autres toutes-boîtes non inventoriés dans le ventre un peu moins fécond que d'antan de ma boîte aux lettres, une surprise : un dépliant plié (ben oui, c'est le principe-même du dépliant) en triptyque et orné d'une souriante et apparemment dynamique postière à casquette, m'évoquant potentiellement une Justine Henin en pleine reconversion, vêtue de rouge et noir (non, de grâce, ne commencez pas à fredonner le titre éponyme de Jeanne Mas!) et à l'accroche prometteuse (je parle du dépliant) : "Chaque jour fidèle au poste pour vous servir!"
Fidèle au poste! Quelle agence de communication a pondu cet oeuf imparable et moyennant quel budget? Néanmoins, jusque-là, je peux encore suivre... En sous-titre, après le chaque jour fidèle au poste pour vous servir : "Pour quoi et quand exactement?" C'est là que ça commence à se gâter. Car, oui, ils ne manquent, pas d'air, ce magnifique et rutilant imprimé pour nous annoncer en fanfare une restriction, une réduction du service courrier, à savoir que le courrier non orné d'un timbre Prior ne sera plus livré à domicile que deux fois par semaine. La presse en a peu parlé tout occupée qu'elle est par le décompte en temps (ir)réel du nombre d'infectés au Covid-19.
Parler de quoi me direz-vous? Un point de détail comme disait autrefois un politicien borgne de sinistre mémoire. Un ajustement compréhensible face à l'évolution des usages de communication. Et ce n'est pas d'hier que la poste s'effrite, elle ne semble pas avoir su anticiper les nouvelles tendances (malgré le salaire d'un million d'euros de l'ex CEO, qui à ce tarif-là devait forcément être génial) et a tenté de se rattraper aux branches en faisant faire tout et n'importe quoi aux facteurs (depuis les livraisons de courses jusqu'au contrôle de résidence des titulaires de la pension garantie) et en rognant sur les conditions de travail et la qualité du service.
Est-ce un point de détail ou un premier coup de canif dans la mise en application du service postal universel, un nouveau recul du service public et du service au public ? Déjà, comme les banques, les opérateurs téléphoniques et autres prestataires de services au public, B-post nous faisait payer, avec son timbre Prior, une prestation exceptionnelle qui en fait est celle que l'on était autrefois en droit de considérer comme le service normal. Autrefois (je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître), je pouvais rédiger mon courrier le déposer jusqu'à 19 h. dans la borne postale située au coin de ma rue et être à peu près assuré que mon destinataire la trouverait dans sa boîte aux lettres avant de partir en cours ou au travail le lendemain matin. Tout ça pour un timbre ordinaire. Aujourd'hui, avec le timbre Prior, c'est à dire majoré de 20%, que vous aurez acheté en peinant pour trouver un bureau de Poste ou pour vous faire servir dans un point du même nom, vous chercherez ensuite désespérément une boîte de ramassage, vous y déposerez un courrier qui ne sera expédié que le lendemain sauf si vous l'y avez déposé avant 14-15h. et il sera reçu le surlendemain soir au retour de la journée du destinataire à l'extérieur. Ca c'est le service Prior. Alors, oui, c'est vrai, la demande a changé, mais les institutions de type Poste, Belgacom, SNCB etc... n'ont pas attendu cela pour saper la confiance du client, abuser parfois de positions de monopole et scier savamment les branches sur lesquelles elles étaient alors confortablement assises.
Il y a de moins en moins de bureaux de poste, d'agences bancaires, des pans de ville entiers sont laissés sans possibilité de retraits aux automates, les gares ont été fermées, le transport public démantelé et on tente aujourd'hui de le remettre sur les rails à grands frais (voilà ce qui se tram, comme on dit chez nous). L'arriéré judiciaire est colossal, les hôpitaux de proximité sont rationalisés et délocalisés. De manière générale, le service public et le service au public ont été mis à mal, affaibli, marchandisé, déconsidéré, tout bonnement saboté.
La qualité et l'accès complet et égalitaire de tous aux services, aux transports, à l'énergie, au logement, aux soins de santé, à la culture, à l'éducation, à l'aide aux personnes, à la justice... ne sont pas un point de détail. C'est une question politique. C'est une question de civilisation. Les services publics sont un enjeu pour nous tous, que nous y ayons recours ou non.
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