Que se passe-t-il quand des animateurs travaillent avec de futurs professeurs ? À la Haute École des Rivageois, les étudiants échangent en permanence avec le duo du C-Paje. Loin de toute verticalité, ces passes successives marquent l’équipe, qui se confie en mode « 3ème mi-temps ».
Fabrice ne s’en cache pas : la Haute École des Rivageois constitue un partenaire à part. « Aller là-bas me paraît très confortable », s’enthousiasme cet animateur du C-Paje. « On s’adresse à de futurs professeurs, qui savent que ce sera bientôt à eux d’incarner notre rôle en quelque sorte ». Le groupe restreint (une dizaine d’étudiants) et enjoué compte aussi deux professeurs de pédagogie motivés, « qui participent à tout et font les choses à fond ». Lorsque Cassandra, binôme de Fabrice, décide intuitivement de présenter un exercice de danse, elle constate avec plaisir que tout le monde se prend au jeu, enseignante comprise. « On a travaillé un mouvement de “relevé” depuis le sol. Et elle m’a dit : “c’est dingue, je me suis retrouvé les fesses par terre”. Elle avait peur de pratiquer la danse, mais, en s’y essayant, elle y a vu un message, un levier artistique pertinent ».
Voilà le principal atout facilitateur de cette classe : y règne un climat de confiance, décorrélé de l’attrait éventuel pour la thématique du football, commune à toutes les écoles. Fabrice pose le contexte : « Oui, leur prof se revendique supporter et connaît toute la vie de Ronaldo. Mais parmi les étudiants, seuls deux ou trois aiment réellement ce sport. Pourtant, l’ensemble nous suit dans nos délires professionnels sans tergiverser. Il n’y a que là-bas qu’on peut pousser le curseur à son maximum, mener nos animations comme on les avait rêvées ». « Ils acceptent de se laisser embarquer et font ce qu’on leur propose, même quand ils ne voient pas le rapport avec le foot », insiste Cassandra. « Parfois, ils établissent des liens ensuite… Ou acceptent qu’il n’y en a pas ! Bouger et rigoler permet aussi de casser la dynamique cérébrale, souvent très présente ».
Méta-morphose
Il s’agit d’une autre spécificité marquante des Rivageois : le « méta » occupe une place colossale dans les discussions, comme l’explique Fabrice. « On leur demande sans cesse les adaptations que mériteraient nos activités en fonction des publics. Ces apprentis-professeurs réfléchissent à des pistes de réappropriation, de transposition, ou encore à la justification de nos choix méthodologiques ». Vifs et impliqués, les étudiants perçoivent en un coup d’œil les intérêts multiples de chaque étape du projet, comme autant d’inspirations à picorer. Un danger inquiète toutefois le duo du C-Paje : l’embrasement des cerveaux ne doit pas occulter la création finale. Et le temps file. Là où l’équipe intervient deux heures par semaine pendant plusieurs mois dans les autres établissements, les Rivageois ne l’accueille que lors de trois journées, en novembre, janvier puis avril. Vers la moitié de la deuxième rencontre, Cassandra ressent que l’effeuillement du calendrier affole les jeunes. « L’anxiété et le stress généré par la nécessité d’un résultat prennent le dessus. Après une matinée passée à cogiter, ils se retrouvent avec trop de matière ! Comment synthétiser tout ça en une vidéo ? »
Fabrice et sa collègue sentent que la classe a besoin qu’ils tranchent eux-mêmes. « On a pris un rôle de scénariste en structurant leurs idées. Ils nous ont fourni les briques, et on les a cimentées ». Julie, stagiaire au C-Paje, constate que cette coopération rassure instantanément les étudiants des Rivageois : « je les sens d’abord soulagés, puis remotivés. Ils rebondissent sur les idées déployées, en injectent de nouvelles et ajoutent même une scène qui rassemble les différentes histoires ». Car si le rythme intensif en trois séances implique quelques baisses de régime (il faut tenir bon de 8h à 17h !), il octroie aussi une ébullition créative. « Comme en théâtre ou en musique avec les répétitions en résidence, quand on sort d’une journée complète, on se sent crevés, mais certains d’avoir vécu des moments particuliers. On constate une évolution », compare Fabrice. « Sur le papier, les Rivageois pourraient être vus comme un demi-projet, car on y travaille deux fois moins de temps. Au contraire, l’expérience des étudiants et les horaires rassemblés nous ont permis d’aller infiniment plus loin qu’ailleurs. Et puis on apprend nous-mêmes, on se remet en question en permanence. Dans d’autres écoles, j’avoue parfois éprouver le sentiment d’une interaction à sens unique avec les élèves. Ici, ce ne sont que des allers-retours ».