À Liberté Outremeuse, l’énergie est à double-tranchant

À Liberté Outremeuse, l’énergie est à double-tranchant

En école primaire, les enfants expriment souvent le besoin de se défouler. Pour Shirley, Julie et Cassandra, animatrices au C-paje, ces tressaillements volcaniques constituent une aubaine. Mais gare à l’éruption, qui peut rendre le groupe ingérable. Décorticage des remous ressentis à Liberté Outremeuse, le temps d’une « 3ème mi-temps » de notre projet "Carton Jeunes".


La thématique du football brille d’un mérite indéniable : insuffler du mouvement dans les animations semble élémentaire. « L’année dernière, notre projet sur le charbonnage s’encombrait trop de théorie aux yeux des enfants du primaire. Ils nous l’ont clairement formulé lors de l’évaluation », se souvient Shirley, travailleuse au C-Paje. C’est décidé : cette fois-ci, le programme charrie du ludique, de l’expression corporelle, de la danse. Cassandra, spécialiste de cette discipline et fraîchement arrivée dans l’équipe, en profite pour proposer un concept inédit, inspiré de « Discofoot », un ballet du chorégraphe Peter Jacobsson. « On a appelé ça le “disco soupe” : le groupe se déhanche continuellement, et on égrène de nouvelles consignes petit-à-petit qui renouvellent nos gestes ». Contrairement aux adolescents, les bambins survoltés de 5ème et 6ème primaire entretiennent un rapport décomplexé avec leur corps, affranchi du regard des autres. « On voulait justement en profiter », poursuit l’animatrice. « Nous visions à leur offrir un espace dans lequel, s’ils ont envie de se jeter à terre, ils peuvent se faire plaisir. Se mettre à imiter le serpent ? Pourquoi pas ».

Au-delà du joyeux bazar, l’objectif masqué consiste à ce que ces jeunes se réapproprient l’exercice en amenant des idées propres. « Le secret, c’est de leur présenter chaque activité comme un jeu », dévoile Shirley, « sans la tartiner de métacommunication réflexive listant nos ambitions (“on va travailler les émotions”, “on s’intéresse aux injustices du milieu sportif”…). On les questionnait sur les liens avec le football en aval, pour qu’ils n’encombrent pas leur esprit. Ça les aidait à se lâcher ! » Peut-être un peu trop ? Cassandra le reconnait sans fard : « il y a quelques fois où la classe est partie en cacahuète. Une de nos activités demande de se passer un ballon imaginaire. Elle requiert de l’écoute, de la patience. Tant que je les guide, la cohésion règne. Mais dès que je leur laisse les clés du déroulement, le chaos prend le dessus. Parfois, ils s’excitent tellement au cours des jeux corporels qu’ils se blessent le pied ou se disputent entre eux ». Les enfants ont également besoin de leur institutrice, Mélanie, pour se canaliser, remarque Shirley : « parfois, elle devait s’absenter du local. Pour eux, son départ est synonyme de pause. Ils vont s’asseoir à l’écart directement et se désengagent complètement ».

« Je déteste le foot ! »

Pour conserver la précieuse attention des élèves, il s’agit de savoir les écouter. Asma, stagiaire au C-Paje, a tenu à organiser des matchs de football pour accéder à leur requête récurrente. En tordant les règles habituelles. Shirley raconte : « après un premier affrontement libre, on introduit des contraintes. Lors du deuxième, seules les filles ont le droit de marquer un but. Et pendant l’ultime rencontre, elles sont obligées de réaliser deux passes avant de tirer, tandis que les garçons ont l’interdiction de courir ». On se figure une scène cocasse, dont les entraves illustrent par l’absurde les injustices du sport. « C’est avant tout une foule d’émotions qui émerge », corrige Cassandra. « Beaucoup de frustration, des envies de bagarre… De rage, l’un des jeunes a vociféré “voilà exactement pourquoi je déteste le foot !” De prime abord, on s’en est voulu de leur avoir fait revivre de manière exacerbée des tensions qui les hantent dans la cour de récréation. Puis, avec le recul : est-ce notre rôle de les surprotéger ? D’éviter les conflits à tout prix pendant notre présence et de les laisser éclater quand on s’éloigne ? »

Le duo d’animatrices juge finalement l’expérience positive, à condition de ne pas ignorer les douleurs qu’elle a suscitées. Shirley conclut : « finalement, ces explosions fournissent une opportunité pour tisser un cocon. Dès la séance suivante, nous organisons des temps de respiration, en veillant à l’alternance entre les moments énergiques et ceux de calme. On les invite à nommer leurs émotions, à y associer une couleur, à accepter le ressenti des autres sans débattre à son sujet ». Ces jeux de confiance et d’échange ont extrêmement bien fonctionné, même quand ils réclamaient le silence. En écoles, quel que soit l’âge des participants, gérer l’investissement du groupe nécessite un équilibre constant. Julie, stagiaire et apprentie-animatrice, résume son futur métier par cette maestria de funambule : « au départ, j’appréhendais la rencontre avec la classe de Liberté Outremeuse, car je me sens plus à l’aise avec les adolescents que face aux enfants. À l’issue de ce projet, je constate que la denrée à dépenser reste identique. En secondaire, il faut s’activer pour les tirer, les motiver. En primaire, on se démène pour les cadrer. Dans les deux cas, l’énergie est là. Elle n’est juste pas utilisée à même escient ».

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