Ephémérides for culture

Ephémérides for culture

Je vais encore passer pour un vieux soixante-huitard... Cependant, je rappelle aux distraits qui liront ces lignes (s'ils n'oublient pas) qu'au plus fort du joli mois de mai, je n'avais que neuf mois (temps de gestation suffisant me diront certains pour la naissance, déjà, d'une graine contestataire...). Néanmoins et quoiqu'il en soit, nul besoin d'y avoir été pour savoir qu'à l'époque, les étudiants scandaient : "Sous les pavés, la plage". Et pourquoi me questionnerez-vous ressors-je, aujourd'hui et dans le contexte actuel, ce slogan antédiluvien? Et bien tout simplement parce que je me demande si, ici et maintenant, il peut s'actualiser en : "Sous le couvre-feu, le feu couve" et jusqu'à quand cela peut-il continuer durer?

Ce samedi 20 février, journée mondiale de la justice sociale, est le jour qu'a choisi le monde de la culture pour se rappeler au bon souvenir d'une société qui semble l'avoir quelque peu oublié. Oubli pour oubli, je remarque que le monde de la culture a lui oublié d'associer à sa mobilisation le secteur de la jeunesse et de l'associatif, qui sont, faut-il le rappeler, à la culture "publique" (c'est-à-dire destinée à un public) ce que sont les crèches, l'enseignement préscolaire et l'enseignement obligatoire à l'enseignement supérieur... Le point de départ, le socle, l'incubateur, la base.

Still standing for culture, c'est le nom de l'opération dans la langue nationale commune à tous les Belges et sur le site du même nom (.be) vous trouverez un ensemble de propositions destinées à nous faire constater la chronique d'une perte permanente (comme l'éducation était censée l'être dans le "monde d'avant"). Avoir choisi la journée mondiale de la justice sociale n'est pas un point de détail. Car accès à la culture et à la pratique culturelle ainsi qu'à la possibilité d'expression, sont affaire de justice culturelle et sociale, sont enjeux de démocratie et d'humanité. Sans cette inclusion par la culture (qui devrait être décuplée plutôt que décimée), l'équipe de onze millions et des poussières tant mise en avant par nos dirigeants est amputée de bien nombreux de ses membres, de bien des citoyennetés délaissées.

Et pourtant, dans la réflexion qui suit, je vais sans doute en faire crier plus d'un (pas plus de trois à la fois, s'il vous plaît, Covid oblige). Si certains se sont sentis, injuriés, blessés ou méprisés en se voyant taxés de non-essentiels... il faut bien reconnaître que cela est vrai. Pouvons-nous vivre sans culture? Bien sûr que oui, tout comme nous pouvons vivre sans cafés, sans restaurants, sans clubs de sports, sans voyages; tout comme le faisait déjà une frange non négligeable de la population pour des motifs d'exclusion économique. Bien sûr que nous pouvons vivre sans soins réguliers. Bien sûr que nous pouvons vivre sans enseignement accessible à tous de manière égale et sans vie socio-culturelle. Bien sûr que nous pouvons vivre sous la pensée unique, sans justice sociale, sans liberté, sans empathie, sans faire communauté. Yes, we can (comme le disait Barack et pour moi aussi emprunter l'idiome unifié de mon pays). Nous pouvons le faire. Rien de tout cela n'est essentiel.

Puisque que nous avons appris à nous passer des autres, approfondissons les liens avec nous-mêmes.
Puisque nous avons appris à nous passer de nos petits-enfants ou de nos grands-parents, abolissons la famille et regroupons-nous (à deux ou trois) par date de vaccination.  
Puisque nous avons appris à nous passer de santé préventive, souffrons en silence.
Puisque nous avons appris à ne plus nous rendre sur nos lieux de travail, devenons tous malades ou chômeurs.  
Puisque nous avons appris à nous passer de lieux de culture, allons chanter, danser, peindre et déclamer dans les supermarchés, faisons de la musique à la sortie des usines qui elles n'ont pas cessé de travailler, envahissons, trams, trains et bus de nos mots, de nos formes, de nos couleurs et de nos sons... Là, il y a encore du public.
Puisque nous avons appris à nous passer de la nuit, dormons le jour.
Puisque nous avons appris à nous passer des sourires, soyons neutres en permanence.
Puisque nous avons appris à nous passer de défiance, contentons-nous de la méfiance envers les autres qui, tout comme la peur, n'est pas si mauvaise conseillère, obéissons et ne baissons pas notre garde.   
Puisque nous avons appris à nous passer du collectif, soyons individualistes.
Puisque nous avons appris à vivre sans (nous) manifester, soyons toujours d'accord.

Nous pouvons le faire. C'est, comme bien des choses, une question de choix. Oui, nous le pouvons... Avec certitude et sans doute aucun. 
Combien de temps l'accepterons-nous encore?

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C-paje

Actualité rédigée par
Jean-Marc LELABOUREUR

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