Interview d'un animateur : Benoît Baptiste

Interview d'un animateur : Benoît Baptiste

Benoît, ces derniers temps C-paje a fait appel à toi en tant qu’animateur « fresque » dans les écoles, mais tu es bien plus que ça. Comment te définirais-tu professionnellement parlant ?

Je me définis comme quelqu’un de curieux qui aime partager ses "découvertes" : je travaille avec les arts plastiques, l’audiovisuel, et tout récemment avec le brevet de guide-nature.

L'idée est de permettre à des groupes et individus de sortir un peu du quotidien, physiquement et mentalement, généralement autour d'une thématique de société, et ce via différentes formes d'expression.

Faire découvrir à des gens des choses qu'ils aiment et savent faire, mais dont ils ne se doutaient pas, est toujours un plaisir pour moi.

Vois-tu une différence entre animer en école ou hors écoles ?

Oui dans la forme plutôt que sur le fond.

Travailler en scolaire, c’est s’assurer qu’il y aura une vingtaine de participants, des périodes de 50 minutes, et un public "captif". Sur papier, il faut plus se tenir à ce qui est prévu. Dans la pratique, on a les libertés que l'on s'accorde, et si passer 2x50 minutes sous forme de discussion sur un sujet émergeant semble plus pertinent que de suivre le programme, je pense qu'il faut le faire. Au détriment de la "production" peut-être, le tout étant de trouver l'équilibre entre la production matérielle et les dynamiques entre et avec élèves de la classe.

Actuellement, je travaille avec un public d’AMO (aide en milieu ouvert), et passer du temps en groupe hors période d'animation fait partie du projet, lors de résidentiels par exemple. Ces temps informels permettent de faire connaissance, "sans le masque animateur" ; c'est parfois un peu comme lorsque je tourne une interview et qu'après avoir coupé la caméra, la personne répond vraiment à la question...

Dans ce contexte, je peux laisser quelques participants travailler le bois et y prendre à part pour tourner un morceau d’interview, proposer de la photo ou encore de l'écriture ; ce qui me donne une position moins centrale que dans une classe par exemple.

Laisser un participant "ne rien faire " pendant une heure est parfois très positif pour la personne, ce qui en scolaire semblerait plus étrange...

Quand tu interviens dans les écoles, comment les enfants te perçoivent-ils ?
Et l’équipe éducative ?

Pour les enfants, je suis un nouvel élément dans le paysage. C’est qui ? C’est quoi ? On va faire quoi ? Il y a toujours une petite période de découverte et de test ; puis vient le temps de la rencontre à travers les réalisations, avec un objectif collectif.

Généralement, j'aime surprendre en posant des questions auxquelles ils ne s'attendent pas.

Avec l’équipe éducative, c’est surtout la question de la participation qui est posée en amont : veulent-ils participer de manière active ou pas ? Il n’y a pas de bonne réponse, mais je préfère en théorie que les rôles soient définis, avec bien sûr un peu de flexibilité.

Généralement, je suis perçu comme quelqu'un qui a de la chance de faire ce métier, et quelqu'un de rassurant ; j'aime toujours rappeler que ce sont eux qui ont été capables de réaliser la fresque, et que j'en étais juste le garant.

Qu’est-ce que les animations apportent concrètement en classe?

L’autre jour, en animation, on s’est rendu compte que deux élèves chantaient bien et qu'un autre avait un mini spectacle de stand up. Ce fut une découverte pour toute l'équipe éducative. C’est ça aussi une facette des animations : valoriser «ce qui n’est pas au programme ». Cela pose la question de ce qui est au programme, et indirectement de ce qu’est la culture ; doit-elle être le miroir d'un programme politique vainqueur ? Est-ce une arme de contestation ? Certaines politiques culturelles, axées uniquement sur le patrimoine et le sport, me laissent perplexe. J’entendais l’autre jour à la radio une chronique sur la question du territoire dans les cours de récré : une dizaine de petits gars qui jouent au foot occupent 70 % de la place dans la cour. C’est énorme. Ce sont là des choix qui ont de vraies incidences sur le quotidien.

Actuellement, dans quels projets d’animation es-tu investi ?

Je travaille avec une AMO à Ciney ; on travaille à l’aménagement d’un kiosque où l'on reconstitue l’ambiance d’un petit kot. Ça s’appelle « à louer » et l'on travaille la thématique de l’accessibilité au logement pour des jeunes. C’est la 3e année qu’on tente cette sensibilisation. Cette année, on s’est dit que si l'on se plaçait au milieu de l’espace public, on allait peut-être être entendu.

Le second projet est un tournage vidéo itinérant sur le confinement, dont l'idée est de recueillir des témoignages sur son impact.

Le côté politique de ton métier semble te tenir particulièrement à cœur…

Certaines urgences et aberrations sont telles qu’on se doit de parler clairement de politique ou plutôt de décisions politiques, voire de lois. Comment parler accessibilité logement sans parler du statut de cohabitant ?

Et en même temps, quels pourcentage et énergie y accorder dans notre travail ? La pratique artistique en elle-même n'est-elle plus suffisante? Créer des dynamiques de solidarités et de lutte contre l'isolement à travers des animations, oui, je m'y retrouve ; proposer différentes visions sur des sujets de société, je m'y retrouve également...et c'est déjà pas mal, je pense.

Tu touches un grand nombre de public très différent ; tu ne travailles d’ailleurs pas toujours avec des enfants et des jeunes, pas toujours avec le même profil non plus. Comment t’adaptes-tu ? Tu fais le grand écart ? L’équilibriste ?

J’évite les grands écarts. Je ne veux pas devenir schizophrène dans mon approche de l’autre. J’essaie de ne jamais être dans trop de compassion - j’ai pu le faire auparavant.

Le travail de documentation et de lecture sur un "nouveau" sujet/milieu est quelque chose qui m'accompagne avant, pendant et parfois après les projets ; une façon peut-être de comprendre les différents contextes, et de m'en détacher en connaissance de cause une fois sur place.

Les gens que je croise me font souvent penser à quelqu’un...un participant incarcéré va peut-être me faire penser à un voisin quand j’étais petit ; je ne le vois donc pas de prime abord avec l'étiquette détenu.

Ma position, aussi, est agréable : si je suis là, c’est qu’il y a un projet et si les participants sont là, normalement, c’est parce qu’ils y trouvent quelque chose. C’est donc positif. Et puis, pour que j’arrive là en animation, c'est souvent qu’il y a un relais entre eux et moi (comme le C-paje), et qu'une certaine confiance est établie ; ça aussi c'est agréable.

Et puis parfois, c’est vrai, ça rate. Les choses sont fragiles en animation : on peut se faire retourner sur une phrase, un mot, si l'on est fatigué ou trop décalé, ou si le groupe arrive en bout de course, les choses peuvent être plus irritables. L’humour peut ne pas produire l’effet escompté. C’est la manière dont on (se) récupère qui va compter. Et puis généralement, l'animation reprend le dessus, c'est quand même bien fait n'est-ce-pas ?

Cela fait 15 ans que tu évolues dans le monde de l’animation, si tu jettes un regard dans le rétroviseur, que peux-tu nous en dire ?

Ce qui est le plus marquant c’est qu’il y a 15 ans on m’appelait et l'on me disait « tu es d’accord de faire un docu de 20 minutes avec les jeunes lundi prochain? » et c'était parti ; «et de quoi va-t-on parler ? », «...on verra bien avec eux ... »

A présent, entre le premier contact et la clôture du projet, il faut parfois compter un an et je participe également plus à la réalisation des dossiers de présentation/subvention de projets avec les associations qui font appel à moi. D'un côté, ça me permet d'avoir une vue plus complète qu'uniquement le point de vue d'animateur de terrain ; et de l'autre, les dynamiques en demeurent peut-être un peu plus figées, moins spontanées et donnent des résultats peut-être plus contrôlés ou prévisibles. Peut-être aussi que les "produits finis" étaient moins professionnels que ce que je vois aujourd'hui..

La qualité du travail de beaucoup d'intervenant(e)s est remarquable, et ce dans beaucoup de disciplines. Je trouve le nombre de formations accessibles également impressionnant. On peut donc parler d'une certaine professionnalisation du secteur par rapport à l'image que j'en avais en démarrant.

Après le coup d’œil vers l’arrière, coup d’œil vers l’avant : pour l’avenir, comment vois-tu les choses ?

Pour la partie terrain, les idées et envies ne manquent pas : un cadran solaire géant customisé dans une cour de récré, des bancs de dialogue, des coins "bricolage bois", l'envie de collaborer avec d'autres disciplines (scientifiques, botanistes, menuisier..) se fait de plus en plus sentir.

Ces quelques mois de confinement/déconfinement jouent indéniablement sur mes "emplois", - du temps et professionnels-, on va dire que j'avance un peu masqué actuellement.

Je travaille par exemple sur un livret "Petites discussions en forêt", avec l'idée qu'il devienne un outil pour des animations. Il résulte à la fois simplement d'une envie, mais également du contexte confinement ; "un animateur sans public...en fait ça fait quoi" ?

Merci Benoît d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

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Actualité rédigée par
Malvine Cambron

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