Chéri(e) j’ai casé les gosses ! Garderie ou bouillon de culture ?

Chéri(e) j’ai casé les gosses ! Garderie ou bouillon de culture ?

Face à la reprise progressive de l'activité, j'ai repensé à cette vidéo (que vous pouvez voir en bas de cette page ou sur notre chaîne youtube), tournée il y près de dix ans lors d'un café philo organisé par C-paje dans le cadre de la campagne Espèce(s) d'animateurs. Le thème choisi "Chéri(e), j'ai casé les gosses" nous permettait, déjà, en compagnie des intervenants et des participants, d'interroger la place dévolue à l'animation artistique et socio-culturelle dans le champ de l'éducation et de l'accueil temps-libre. J'ai revu la capsule vidéo, je l'ai montrée à mes collègues. Nous avons estimé pertinents de vous y (re)donner l'accès dans le contexte actuel. Nous avons aussi suscité l'écriture par notre éphéméridien président d'un texte sur sa vision du (dé)confinement et le rôle que devraient y tenir l'animation, l'éducation et la culture. Nous vous invitons, par la mise en tension de ces deux contributions, à un grand écart temporel, pas toujours si grand que cela, finalement.
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C’était un peu avant la mi-mars, le vent léger bruissait dans les feuillages en éclosion, à peine moins fort que ces rumeurs venues de Chine, puis d’Italie ; nous étions encore en droit d’attendre le printemps. Un certain nombre de choses, pourtant, tendaient déjà à se dérégler… On annonçait annulations d’événements culturels, sportifs, de voyages scolaires. On commençait à se saluer de l’extérieur du coude puis, bientôt, à éternuer dans son repli intérieur. Prudence et peur, éternelles cousines antagonistes, se faisaient la course pour savoir qui prendrait les devants. On le sait aujourd’hui.

Dès lors, il nous a fallu apprendre à vivre avec moins. Moins d’art et de culture, d’ateliers et d’écoles, d’espaces de vie et de rencontre, de sorties et de liens, de famille et d’amis, d’équipes et de bénéficiaires, de travail et même de revenus, d’avenir et de projets. Souvent beaucoup moins. Parfois, plus du tout. De même, plus de cafés, plus de restos, plus de concerts, de théâtres, de cinémas, plus de piscines, de terrains de sports, de balades en forêt, de déplacements à vélo, de déplacements tout court. L’immédiateté de la crise fait écran à la vie. On est passés du quotidien au Covidien.

Par contre, pour nombre d’entre nous, pour beaucoup trop certainement, cela aura signifié (prononcer cette fois le s final) plus de difficultés, plus de galères, plus de précarité encore, plus de souffrance, plus de risques, plus de ce qui nous use et moins de ce qui nous construit. Et non, et malgré l’image qu’ont parfois tenté de donner certains médias, le confinement n’est pas pour tous un club de vacances. Sans parler des isolements psychologiques, des célébrations inaccomplies des traversées du deuil en solitaire, des semi-désertions forcées, du confinement jusqu’à plus soi.

Ces dernières semaines, nous avons donc appris que le vie, ramenée à l’essentiel, c’est s’approvisionner, si possible en grande surface ; travailler, si possible à domicile ou avec distanciation ou avec l’espoir que ça revienne ; s’occuper des enfants, si on en a le temps ; s’informer c'est-à-dire faire le décompte des morts, surfer entre publicités déguisées, consignes rabâchées et divertissement obligé ; se montrer « solidaires » c’est-à-dire obéir aux prescrits du moment, s’inquiéter des courses du voisin, fabriquer son masque et applaudir à heure fixe pour saluer des héros qui, plus que d’applaudissements, auraient eu besoin de ne pas être livrés à ce point à ces réalités d’impuissance et de dénuement..

Ne le mettons pas en doute de manière facile et gratuite, ce qui a été décidé, mis en œuvre, imposé, l’a été dans un souci de protection de l’intérêt à la fois général et particulier. Ceux qui ont dû faire face à ces circonstances ne l’ont pas fait avec légèreté et ne nous ont pas contraints de gaieté de cœur. Peut-être l’urgence ne se prêtait-elle pas à la concertation et à la nuance. Sans doute est-il encore trop tôt pour évoquer d’éventuelles carences en anticipation et en prévoyance, pour questionner moyens et priorités… Cependant, cela témoigne à coup sûr d’une certaine vision du monde, d’un rapport de niche au réel, d’une inquiétante méconnaissance des besoins, des nécessités et des ressources.

Les acteurs de la culture et de l’éducation, le tissu social et associatif, tous ces maillons forts d’une solidarité efficiente et réelle, ont été tant qu’à présents tenus pour quantité négligeable, non essentielle, dans la gestion de cette crise et dans la partition de ce qui nous était, à tous, donné de vivre.

A l’heure où, ici et maintenant, un début de sortie de confinement se profile, avec d’ailleurs la même précipitation et la même impréparation apparente que la plongée d’il y a une quarantaine… de jours, on est en droit de se demander pourquoi prioriser la relance productiviste au détriment de la reprise du lien social, à quelles fins utilitaristes est envisagée cette pseudo-rentrée scolaire morcelée et bricolée, quand les ressources de l’éducation scolaire, continuée, permanente, de la culture, de l’animation, de l’accompagnement, de la prévention psycho-sociale aussi, seront-elles sorties de leurs couvre-feux actuels pour contribuer à la reconstruction collective de notre être-ensemble malmené et au soin à apporter aux brisures et blessures, de toutes tailles et natures, clairsemées ça et là ?

Le prix payé a été grand, et pas encore nécessairement totalement mesuré. Sans doute faudra-t-il aussi le relativiser quand seront connus les dégâts à craindre au-delà de notre monde occidentalisé. Allons-nous devoir faire comme si de rien n’était, reprendre tout comme avant, avec simplement un peu plus de masques, de lavages de mains et d’éloignements des corps ? Ou bien est-ce le tournant à finement négocier, l’indispensable occasion de redéfinir humainement et non pas techniquement, de façon concertée et non dictée, nos projets pour l’avenir, pour l’enfance, pour la vieillesse, pour la santé, pour l’égalité sociétale, le partage du travail, la promotion de l’humain, l’environnement, la décolonisation de la pensée, la réappropriation culturelle, pour enfin mettre un terme au confinement social ?

C’est en tout cas un fameux signal en direction des sphères dirigeantes, un signal dont l’émission va rapidement s’intensifier s’il n’est pas pris en compte, un signal qui appelle à resserrer les rangs, non pas autour des marchés et de la surconsommation, mais autour du sens et des gens ; un signal qui affirme que si reprise il y a, elle devrait plus que tout se consacrer aux oubliés du confinement, s’appuyer sur une partie vitale de ce qui a été, jusqu’ici, relégué au non-essentiel. Remettre au plus vite, plus et mieux qu’avant, l’humain, le social, le culturel, le mutuel, au centre. Sans instrumentalisation, sans pensée unique, avec cohérence, ave confiance.

Par respect pour ce temps de confinement subi, pour toutes celles et ceux qui s’y sont battus, pour toutes celles et ceux qui y ont perdu des proches, pour toutes celles et ceux qui y ont laissé des plumes. Que cette crise, en dépit de ce qu’elle nous a enlevé, nous conduise à penser un horizon plus grand qu’elle.

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C-paje

Actualité rédigée par
Jean-Marc Lelaboureur

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