« Tous dehors » ça sonne un peu comme une injonction, mais c’est en fait une invitation à se réunir, à partager nos peurs, nos expériences, nos envies, nos freins de professionnels de l'éducation (enseignant, animateur, volontaire, éducateur…) souhaitant proposer aux enfants de mettre tous leurs sens au service d'un apprentissage en plein air !
On parle beaucoup des bienfaits de la nature dans le secteur de l’éducation. Mais, hormis la sacro-sainte tradition des classes vertes, on sort peu des écoles, contrairement aux pays scandinaves, fervents convaincus des bienfaits du dehors. Les sorties nature restent perçues comme des activités de loisir, contemplatives et salissantes, plus que que comme de véritables sorties pédagogiques. Pour confronter cet avis à du vécu, et comprendre davantage les obstacles de ce type d'activité, je suis partie à la rencontre d'une collaboration entre une association d'éducation à l'environnement et une école fondamentale.
Quand Julie, enseignante, et Alice, animatrice, construisent ensemble un projet de pédagogie par la nature
Alice, institutrice primaire et psychomotricienne relationnelle de formation, est animatrice nature et formatrice au CRIE de Modave. Le CRIE de Modave propose l’accompagnement de sorties nature aux écoles car " Elles sont un moyen de développer de nombreuses compétences. Par l’approche du cerveau global, la mise en relation directe avec la nature et l’action, nos animations ouvrent des pistes d’apprentissage variées et multidimensionnelles."
Julie est l’institutrice des 3ème et 4ème primaire de l’école d’Evelette, joliment appelé « L’écolette », école fondamentale de la commune d'Ohey. Cela fait un moment qu’elle souhaite mettre en place une « école du dehors » dans sa classe. L’année scolaire dernière, son école était sur liste d’attente pour accueillir les animations dans sa classe et dans celles de ses collègues. Ces enseignants en ont donc profité pour prendre de l’avance. Ils ont suivi une formation « Ecole du dehors » : une immersion de 3 jours partageant l'expérience d’autres enseignants initiés. Découverte in situ, avec l’encadrement d’une animatrice du CRIE de Modave pour orchestrer le tout.
Depuis la rentrée de septembre, Julie et Alice se retrouvent environ une fois par mois devant l’école d'Evelette pour prendre la route en compagnie des 20 élèves de la classe de Julie.
Ce jeudi 29 octobre 2020, c’était leur troisième sortie sur les huit animations prévues.
Tandis que la cloche de l’église, située à deux pas de l’école, sonne 9h, je vois arriver des enfants aux sourires et visages lumineux, parés de leurs vêtements de pluie : « Bonjour madame Alice ! » lancent en chœur Suzon, Lou, Mina, Alice, Margot, Aloys, Simon, Samuel, Luka, Simon, Aurélien, Noa, Julien, Zélie, Lylou, Enola, Léa, Emilie, Marie-Lotte, Mathys.
On commence par le moment de météo intérieure, afin de sonder l’humeur du groupe et de chacun. Julie et Alice rappellent les quelques règles nécessaires à une "bonne" matinée en plein air. On se dirige ensuite vers un sentier nous emmenant dans un sous-bois, lieu de la classe de ce matin.
Alice présente la bâche posée au sol sur laquelle deux bâtons s’entrecroisent pour former quatre cases, une par activité.
Julie a préparé l’atelier champignons. Il s’agit de repérer les champignons et de les identifier. Bouger, farfouiller, pendre avec grande précaution, puis s’installer autour des trouvailles pour observer, discuter, découvrir, chercher... «Je me sentais un peu fébrile à l'idée de proposer cet atelier ; comme si j’étais en stage d’étude» me confie Julie.
Dehors, il y a de multiples terrains d’apprentissages. Une connaissance en entraîne une autre, associée à ses nombreuses questions. Et même une institutrice ne sait pas tout. Ici, je pense observer que les enfants comme l'enseignante vivent une relation plus vaste, en lien avec l’immensité de l’environnement qui les entoure. Ils ont l'air de se découvrir autrement en apprenant à travers leurs sens (ça se mange ça?), leur mobilité (boum!), leur curiosité (oui mais si c’est pas un écureuil qui a fait ces réserves là, c’est qui?), leurs sens de l’entraide qui se met en place de façon concrète (attention, une branche juste devant toi !)
J’ai ainsi voyagé d’un groupe à l’autre : de l’atelier des champignons encadré par madame Julie, à l’atelier traces de l’écureuil de madame Alice, en passant par les deux ateliers libres de «mesures» et de «français». Et j’y aies observé beaucoup de coopération, d’ingéniosité, de moments ensemble et seul, de râleries et de réconciliations ; beaucoup d’émerveillement, de joie de montrer les uns aux autres aussi. Chaque groupe laissait des traces pour le suivant. A chaque permutation de groupe, ils se réunissaient et échangeaient des conseils, des observations, des questions, des peurs et des petits bonheurs. Les pieds dans les feuilles aux couleurs d'automne, une tisane "fruits des bois" au creux des mains et un petit feu pour fêter le moment de la collation, les enfants étaient ravis; les adultes aussi.
En plein contexte de covid19, j'ai vécu cette matinée comme elle était : une grande bouffé d'air frais, un glanage de sourires d'enfants, une source de créativité, de curiosité, d'explorations, d'échanges de savoirs… Ce que j’ai observé ce matin là dans un petit sous-bois d’Evelette, sous une pluie fine et une température un peu fraîche, c’était du pur bonheur éducatif !
Longue vie à l’école du dehors. Longue vie à la classe de madame Julie. Et grand merci à Alice et au CRIE de Modave pour m’avoir permis de confronter ce que je rêvais à ce qui est : un projet à haute valeur pédagogique.
Un projet soufflé par les vents du nord
"Dans les pays scandinaves (...) dans les crèches, les enfants font leur sieste à ciel ouvert, bien emmitouflés. Et d’autres s’en inspirent, notamment chez nous en Flandre. Alors on ne s’étonne pas d’apprendre que c’est également dans les pays nordiques que les écoles du dehors sont les plus présentes. Les précurseurs en la matière sont les Danois. Leurs skovbørnehave (« écoles maternelles dans les bois », skov signifiant bois) ont vu le jour dans les années 60 aux alentours de Copenhague. Faute de place en ville, ces écoles ont été construites en dehors du centre et les enfants emmenés en bus. Claus Jensen, secrétaire général d’un syndicat d’instituteurs au Danemark, écrit à leur sujet :«Dans lesskovbørnehave, la vie en plein air ne représente pas qu’une pause dans la journée : les enfants passent le plus clair de la journée dehors. (...) En règle générale, dans les bois, une cabane est prévue pour s’abriter, mais ce n’est qu’un abri, la vie en plein air constituant l’axe central du projet.» Difficile de recenser le nombre exact d’écoles danoises dans les bois, elles seraient entre 200 et 500, subventionnées par l’Etat"
source : "Dehors" ! page 20
L'école du dehors
Comme le relatait RTBF - La Première le 17 juin 2020 "l’école du dehors, ce n’est pas tout nouveau, des enseignants la pratiquent en Belgique depuis 2-3 ans. Mais il faut maintenant l’intégrer plus largement dans la pédagogie des enseignants. Cela consiste par exemple à sortir un jour par semaine dans un lieu d’apprentissage différent, à l’extérieur, dans un milieu naturel. "C’est y apprendre tout ce qu’on peut trouver dans le programme scolaire : français, maths, éveil, géométrie, histoire. Tout peut se jouer dehors, avec des valeurs qui se développent davantage dehors : la coopération naturelle, l’entraide, la curiosité, la motivation à apprendre…", souligne Emilie Hennot.
En Belgique, il serait possible de mettre en place un système de classe dehors, tout en tenant compte du fait que le dehors ne se limite pas au milieu naturel, précise Christine Partoune :
"Le dehors est plutôt la notion de territoire, explorer le territoire et ancrer des apprentissages au départ de cette idée que l’on doit apprendre à connaître le territoire où l’on vit, à y tisser des liens."
L’école dehors est donc possible, quelle que soit sa localisation géographique. Les outils sont multiples et sont disponibles là où l’on se trouve.
L’enjeu est que toute l’école et toute la communauté pédagogique se mobilisent, pour réfléchir de manière plus large aux conditions qui permettraient aux enseignants de faire la classe dehors plus volontiers. Il faudrait déjà par exemple prévoir un local pour pouvoir 'faire des crasses', ramener des choses, entreposer des bottes, des manteaux…"
Les peurs de l’apprentissage en plein air
Les enseignants ayant fait le choix de mettre en place une école du dehors dans leurs classes se sont d’abord souvent heurtés à de multiples freins : ne pas être outillé (que ce soit en terme de formation ou de matériel), ne pas avoir accès à un espace vert, être seul avec sa classe dehors et donc mettre les enfants en danger, redouter l’anarchie à laquelle inviterait le plein air, s’écarter du programme scolaire imposé à toutes les écoles, convaincre les parents, sortir par mauvais temps…
Des craintes qui s’estompent grâce à des outils d’accompagnement, tels que ceux proposés par le CRIE de Modave.
Nous vous partagerons, dans un prochain article, notre glanage de ressources diverses : formations, sources de financement, groupes de soutien, lieux d'apprentissage. etc.
En attendant, voici déjà deux pistes très riches : le site du collectif "Tous dehors" et le groupe facebook "Ecole du Dehors", créé par Alice il y a quatre ans...et un article de circonstance.
A suivre...