Interview d'un prof confiné

Interview d'un prof confiné

Il était une fois un pays enchanté où les enfants et les jeunes se retrouvaient la journée durant pour partager des moments de découvertes, encadrés par des enseignants. Pendant ce temps, leurs parents vaquaient à d’autres occupations. Chacun pouvait postillonner librement et avant de se retrouver en fin d’après-midi.
Aujourd’hui, les enseignants et élèves sont cloîtrés chez eux. Chacun fait comme il peut. Interview d’un prof qui fait de son mieux.

  • Simon, tu es prof de français en 4-5-6 à l’Athénée Léonie de Waha depuis septembre 2019. Comment, en quelques mots, décrirais-tu ton métier ?

Il est un peu différent du métier traditionnel de professeur, je le perçois comme un rôle de coordinateur. En classe, il est plutôt question de générer une énergie à la fois commune et individuelle autour de la matière et des savoirs que d’ordonner des informations pour qu’elles puissent être étudiées, apprises et restituées. C’est inhérent à la pédagogie active prônée par l’établissement. Et puis, mon rôle est varié, puisqu’il y a autant de situations différentes que d’élèves au sein d’une classe.

  • Quand le confinement a été déclaré, quelle a été ta première pensée en tant que prof ?

Je me suis demandé comment on allait continuer à générer une énergie scolaire. Et fin d’année, les élèves sont voués à avoir des examens. Comment continuer à les y préparer ? Comment leur faire voir la matière ? Parce que même s’il y avait bien la possibilité d’organiser un système de garde pour les plus jeunes, il n’était pas question de découvrir de la nouvelle matière.

  • Une fois que tu as su que les élèves ne seraient pas présents, quelle a été la priorité ? Garder le contact, réviser, en profiter pour faire quelque chose de plus ludique, occuper ?

Selon la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous sommes obligés de nous limiter à des exercices de remédiation ou de dépassement. J’ai donc créé une série d’exercices qui vont en ce sens. Par contre, rien n’interdisait de proposer des activités un peu plus ludiques.

  • Très vite, vous vous êtes organisé à plusieurs pour travailler sur base d’une plateforme d’échange avec les élèves. Tu peux expliquer ?

Il fallait garder le contact avec les élèves, donc le meilleur moyen était sans doute de mettre en place un outil en ligne. Certains de mes collègues, mieux informés dans ce domaine, connaissaient une plateforme spécifique pour l’enseignement : Seesaw. C’est un outil qui permet de déposer des activités, de communiquer avec les élèves mais aussi de communiquer avec les parents. Le but c’était de continuer à échanger avec nos élèves en utilisant un outil pratique et simple d’utilisation.

  • Tous les profs ont-ils facilement assimilé cet outil?

Non, parce que certains n’ont pas de sensibilité avec ce type d’outil et connaissent sans doute des difficultés pour l’utiliser à leur meilleur avantage. C’est dans ce genre de configuration que nous pouvons constater la « fracture numérique » ; certains professeurs ne maîtrisent pas l’outil informatique en général, alors que de nombreux élèves semblent avoir développé une certaine acuité numérique. Ceci dit, au début de la crise, une petite équipe s’est formée et s’est mobilisée pour pouvoir expliquer aux professeurs démunis le fonctionnement de la plateforme, ce qui a pallié la difficulté chez certains.

  •  Les élèves ont-ils facilement accrochés ? Sont-il assidus ?

Pas tous. Ma classe de rhéto est assidue parce qu’elle stresse pour l’année prochaine, mais ce n’est pas le cas de toutes les classes de rhéto. La 5e année est aussi assidue ; avec les 4e c’est plus difficile. Ils sont très peu à répondre. Cela reste compliqué de générer un état de travail avec eux, de rester en contact avec l’école via une plateforme. L’école reste un lieu qui donne du poids à l’enseignement. Sans le lieu, ça rend les choses moins réelles, plus abstraites, encore plus à cet âge-là. Au plus fort de la crise d’adolescence, on remarque souvent un certain relâchement au niveau de l’implication scolaire.

Cependant, il y a à la fois plein de manières et plein de choses à apprendre. Ils apprennent sans doute beaucoup sur eux-mêmes en ces temps de restriction, et si l’esprit Waha a eu l’occasion de les inspirer, elle devrait pouvoir les aider à alimenter leurs connaissances.

  • Peux-tu décrire l’un ou l’autre exercice demandé à tes élèves ?

On devait partir en Alsace avec les élèves de 5e année, voyage qui été annulé, évidemment. On travaille donc la thématique des frontières en lien à ce voyage, comme c’était initialement prévu. L’un des exercices que je leur avais proposé était de créer deux définitions du mot « frontière ». La première devait être « pratique », c’est-à-dire qu’elle devait définir le sens que l’on donne collectivement au mot pour pouvoir échanger sur des valeurs communes. L’autre devait être une définition « symbolique », autrement dit plus personnelle et plus imagée du mot : quelles sont mes frontières personnelles ?

Dans un deuxième temps, ils devaient enregistrer un son qui fait partie de leur vie, qui en est représentatif et m’expliquer en quelques mots le choix de ce son. C’était initialement prévu pour les préparer à un exercice qu’on devait faire en Alsace. On devait aller capter des sons représentatifs de différents quartiers pour les appliquer à une carte. L’idée était de réaliser une carte sonore de Strasbourg pour se diriger, non pas grâce à des données topographiques, mais grâce à des ambiances sonores.

Aujourd’hui, on en a gardé l’idée et c’est devenu une carte sonore du confinement. Elle a évolué puisqu’en plus du son capté, on leur a proposé de s’enregistrer afin d'évoquer une œuvre culturelle qui leur tient à cœur. On a aussi appliqué ces capsules audio sur la carte sonore et ils peuvent ainsi voyager sur la carte. Tous y ont accès, c’est une carte virtuelle et interactive qui leur permet d‘avoir accès à ce que leurs condisciples ont partagé.

  • C’est un projet plutôt bien compris et bien accueilli par les élèves ?

C’est bien accueilli. La moitié des élèves a participé mais de nouveau c’est compliqué de maintenir un rythme à distance. On ne sait pas ce qu’ils vivent chez eux, ce qu’est leur rythme. On ne peut pas leur envoyer des rappels incessants. Ce serait abuser de cette possibilité selon moi. Le but est qu’avant la fin du confinement, chacun propose au moins un son.

  • Travailler de cette façon nécessite un ordinateur ; tous ont-il cet outil à disposition chez eux?

Statistiquement, on peut voir via la plateforme que presque tous ont pu s’y connecter. En grande majorité, ils ont un smartphone aussi pour enregistrer. On les a sensibilisés à la qualité du son et au matériel de qualité, mais le smartphone c’est déjà très bien.

  • Outre d’éventuelles difficultés d’accrochage, tes élèves se montrent-ils sous un jour différent en raison du changement de situation d’enseignement-apprentissage ?

Vu qu’ils peuvent travailler à leur rythme, certains, sans la pression de la classe, arrivent à mieux à se concentrer et à rendre des travaux qu’ils n’auraient pas rendu d’habitude ou des travaux plus fouillés qu’en temps normal. Là, il est difficile de prendre du recul, mais peut-être que ça devra être pris en compte pour la suite.

  • Et toi, comment vis-tu ce métier dans des conditions aussi différentes?

Plutôt bien en fait. C’est ma première année d’enseignement. C’est l’année de tous les essais, de toutes les erreurs, de la réévaluation et des doutes permanents.

Ne plus être face aux élèves, c’est-à-dire ne plus devoir être à 100% en permanence, au mieux de ma forme physique et mentale, me permet de prendre du recul et de me poser. Je peux réfléchir à la matière plus posément, ne plus être dans l’urgence. Ça me permet de raffermir des socles. Pour moi, ce n’est donc pas négatif ; même si la situation n’est pas optimale, elle est constructive.

 

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Actualité rédigée par
Malvine Cambron

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